Le rigodon en Dauphiné

 

 

La plupart des informations ci-dessous sont tirées de l’enquête de Jean-Michel GUILCHER menées en 1978 et publiées en 1984 dans la revue “LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN”, enquête intitulée :

“LE DOMAINE DU RIGODON : UNE PROVINCE ORIGINALE DE LA DANSE “.

Nous vous conseillons vivement de la lire, (environ 65 pages). Vous pouvez l’acquérir au Musée DauphinoisGrenoble.

 

LE RIGODON, DANSE TRADITIONNELLE DU DAUPHINE .

UN PEU D’HISTOIRE.

 


LE DAUPHINE

Le Dauphiné est une province de l’Ancien-Régime que les révolutionnaires ont partagée en 3 départements : l’Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes.

Cette province avait été rattachée au Royaume de France en 1349 quand son dernier “Dauphin” indépendant, Humbert II, sans héritier, l’avait alors vendu au roi de France Philippe VI par le traité de Romans.

 

LE RIGODON EN DAUPHINE

Le rigodon est aujourd’hui, et à bon droit, la danse caractéristique du Dauphiné. Il a connu dans cette province une popularité ancienne et les populations dauphinoises lui ont montré une attachement particulièrement durable.

Pourtant, c’est une danse importée que les dauphinois ont adoptée, probablement en la remodelant inconsciemment, l’adaptant ainsi à leur culture, leur mentalité montagnarde.

Comme le dit Paul Pittion dans son ouvrage “En Pays Dauphinois, Danses et Chants Traditionnels -Roissard Grenoble 1950″, le rigodon a trouvé sur la rude terre montagnarde un sol particulièrement propice à son épanouissement”.

 

LA PROVENCE INITIATRICE.

Aux 17è et 18è siècles, le rigodon est une danse en vogue du haut en bas de l’échelle sociale de la société provençale. En 1725, il passe pour “naturel” en Provence et revêt des aspects différents suivant les régions.

Durant ces deux siècles, sa popularité se confirme et semble même s’élargir.

Madame de Sévigné l’apprécie dans les plus hautes sphères de cette province en 1672 ; c’est une danse enseignée aux jeunes gens de la noblesse (document de 1770) ;

En 1738 un témoin indique que dans sa jeunesse (fin du 17è), on le dansait en compagnie du menuet, de la bourrée, de la boucane, du passepied, de la gavotte, mais qu’aujourd’hui il ne reste plus guère que le menuet et le rigodon ainsi que plusieurs sortes de contredanses ou plusieurs personnes dansent en même temps.

En 1786 un témoignage rappelle aussi le goût des paysannes pour les branles et pourle rigodon.

 

LA PROGRESSION DU RIGODON EN DAUPHINE.

A cette époque (fin du 18è siècle), le rigodon provençal commence à se diffuser dans les provinces voisines. En effet, en Provence, le niveau de vie s’élève, le luxe gagne peu à peu toutes les couches de la société. La Provence devient un centre d’attraction pour les populations voisines, son rayonnement devient intense et étendu.

Un témoin indique en 1786 que ” MARSEILLE est encore aujourd’hui pour la Provence et même pour les provinces qui l’entourent, ce qu’est Paris pour tout le royaume”.

Un des facteurs très important de la diffusion du rigodon dans les provinces voisines est la mobilité des populations montagnardes de cette époque (migrations temporaires) : à la saison des moissons, les provençaux font annoncer dans les paroisses du Gapençais, et du Dauphiné, aussi des Cévennes le début des travaux d’été. Aussitôt, les hommes s’attroupent, et ce sont des groupes importants qui partent vers le sud, remontant peu à peu, comme l’étagement climatique le rend possible.

A l’automne, beaucoup de cultivateurs, une partie des femmes et des enfants, sont obligés de venir passer l’hiver dans les pays tempérés de Provence, ou ils amassent, par leur travail, de quoi rentrer chez eux à la fin du printemps.

Ces déplacements sont remarquables par leur caractère massif, leur retour annuel, leur durée, et par la présence dans chaque troupe d’hommes, de femmes et souvent d’enfants.. Aussi par la cohésion qui persiste ou qui s’établit entre eux. Au contact de populations plus raffinées, ayant une culture plus prestigieuse, les montagnards adoptent peu à peu leurs mœurs, leurs usages, leurs divertissements.

 

L’AGE D’OR DU RIGODON EN DAUPHINE.

Dès la fin du 18è siècle et durant tout le 19è siècle, le rigodon jouit d’une vogue sans faille, durable et entière, si bien qu’il devient à bon droit la danse traditionnelle caractéristique de cette province.

Il est l’élément essentiel, voire unique du répertoire des bals.

Toutes les occasions sont bonnes pour le danser : veillées l’hiver dans les maisons qui comptent des jeunes filles, bals du dimanche dans les cafés ou les granges, bals du 1er janvier, du carnaval, du 14 juillet, bals plus prestigieux des vogues (fêtes patronales) et des noces, réunions de voisinage et de travail…

Sa popularité s’étend à toutes les catégories de la population : paysans, les plus nombreux, artisans, commerçants, employés, membres de la petite bourgeoisie des gros bourgs et des petites villes, aristocrates même, au début du 19è siècle.

 

 

LE TEMPS DU DÉCLIN

Vers la fin du 19ème siècle, une influence parisienne devient plus évidente avec l’adoption progressive de danses pour couple fermé : valse, polka, mazurka, scottish, troïka, quadrille, qui fournira bientôt quelques figures très simples à certaines versions exceptionnelles de rigodons. Au départ très marginales, elles vont peu à peu occuper de plus en plus de place.

C’est par le sud que le rigodon a commencé à décliner. Dans la région de Gap ce déclin est sensible dès les premières années du 20è siècle.

Il n’en n’est pas de même en Trièves, Matheysine, Champsaur ou Valgaudémar ou sa grande vitalité va durer jusqu’à la guerre de 14-18.

Celle-ci conduit à une cassure brutale . Pendant quatre ans , les mécanismes délicats de la tradition vont cesser de fonctionner.

Après, la vie repart, mais avec une population appauvrie en hommes jeunes, dans un climat nouveau, ou le rigodon commence à faire figure de danse vieillie. D’ailleurs, même les modèles parisiens commencent à faire figure de pratique ancienne face aux danses américaines que les petits orchestres des villes mettent à la portée de tous.

Bien sur, il ne disparaît pas d’un coup ! Ceux dont il avait été le moyen habituel d’expression continuent de le danser aussi longtemps qu’ils en trouvent l’occasion et les forces.

Par endroit, “de menus accidents” – quelques facteurs favorables jouant simultanément – ont retardé ce déclin : attachement local à l’habitude des veillées, maison recherchée par son accueil, sa gaieté, les jeunes filles qu’on y rencontre, un grand-père musicien ou beau chanteur qui fait danser à la voix, et sait au besoin enseigner la danse collective que les plus jeunes ignoraient.

A noter aussi la récupération du rigodon par les groupes folkloriques à partir de 1930, à commencer par la région de Gap.

De plus, pendant la période 40-45, en Dauphiné comme ailleurs, la suppression des bals a conduit les jeunes à demander à la tradition de leur pays les moyens de se divertir, et des anciens ont été sollicités d’enseigner le rigodon, contribuant ainsi à prolonger l’existence de cette danse.

En ces dernières années, l’intérêt porté aux anciennes musiques et danses traditionnelles à fait naître des initiatives dans ce sens.

Des groupes comme “Rigodon Sauvage”, “Drailles”, “La Compagnie du Rigodon”, “Rigodons et traditions” et “La Compagnie Recourdàs” tentent de faire connaître et de diffuser cette famille de danses.

 


 

LE RIGODON : ET AUJOURD’HUI ?

 

 

 


Bien que cette danse ait failli complètement disparaître, le rigodon fait encore aujourd’hui partie de la mémoire collective des Dauphinois.

La plupart d’entre eux na plus la moindre idée de la façon dont il se danse, mais quand on en parle, un air vient très vite aux lèvres, « le coucou »  présent dans de nombreuses mémoires des habitants de cette ancienne province.

La structure des rigodons est pratiquement toujours la même ; Il s’agit dune danse à deux temps, divisée en 2 parties :

– la première appelée « promenade » en raison de sa chorégraphie ( déplacement de tous les danseurs, le plus souvent sur un cercle ) ;

la “promenade”


– la deuxième appelée « rigodon » car c’est dans cette deuxième partie qu’intervient le pas de rigodon proprement dit ;

d’abord avec son partenaire,                                                   puis avec son contre-partenaire


La danse prend différentes formes, les plus répandues étant :

– les formes en  « file circulaire », hommes et femmes se suivant sur un grand cercle tournant en sens inverse des aiguilles dune montre ; (photos ci-dessus)

– les formes à quatre danseurs (comme dans les bourrées en quadrette) ; photos ci-dessous

la “promenade” à quatre

la partie “rigodon” proprement dite

 

– les formes à deux danseurs (parfois un homme et une femme, parfois deux hommes) ;

 

Rigodon à deux

 

 

– les formes en cortège de couples évoluant sur un grand cercle ; photos :

La “promenade” en cortège

la partie “rigodon” proprement dite

 

Concernant les  pas utilisés, il y a beaucoup d’incertitude.

– La partie promenade s’effectue le plus souvent en pas sautillé d’un pied sur l’autre un appui sur chaque temps impair – permettant le déplacement collectif des danseurs.

– Le pas de la deuxième partie (pas de rigodon proprement dit) s’effectue sur place, tantôt face à son partenaire, tantôt face à son contre-partenaire.

De nombreuses incertitudes subsistent concernant la réalisation concrète de ce pas. Il est difficile d’aller plus loin dans la description de ce pas sans risquer une schématisation simpliste.

Disons seulement quil s’effectue le plus souvent sur quatre temps, avec au minimum un appui sur chaque temps impair.

 

Pour découvrir le rigodon aujourd’hui, on peut suivre les stages proposés par la Compagnie Recourdàs;

Pour proposer des ateliers d’apprentissage de rigodon, ce groupe s’est basé sur la très complète enquête de Jean-Michel Guilcher réalisée en 1978 et publiée dans la revue du Centre alpin et rhodanien d’ethnologie ” Le Monde Alpin et Rhodanien n°1-2 – 1984 : Chants et Danses de Tradition ” intitulée ” le domaine du rigodon : une province originale de la danse ” cité au début de cet article.

Ce groupe à aussi pris en compte les travaux de l’association « Rigodons et Traditions »  ainsi que ceux de Véronique Elouard ( avec la Compagnie du Rigodon ) qui a fait un travail approfondi sur les différentes réalisations possibles des pas en adéquation avec les airs de danse qui ont été collectés auprès des anciens.

Dans ses ateliers et ses stages, il propose des restitutions possibles de cette famille de danses, fondées sur les choix qui ont été faits, principalement la recherche d’une liberté d’expression à l’intérieur du cadre très structuré imposé par les formes de la danse.


 

Aujourd’hui, avec notre vécu, notre culture, nos capacités, et bien sûr notre passé de danseurs, nous avons envie de faire vivre le rigodon en proposant à chacun d’enrichir  sa façon de danser.

Cela passe par l’utilisation de différents pas, de différents styles, de différentes variations et ornementations (collectives et/ou individuelles) et par des combinaisons de ces différents éléments ;

Chacun  peut s’approprier les éléments de ce « langage dansé » en fonction de ses capacités – pas seulement  motrices !  – et tous peuvent participer à la même danse, prenant en compte la diversité des personnes (les différences), l’intégration, plutôt que l’exclusion.

 


 

Voici une fiche de danse qui doit être accompagnée d’une mise en garde :

Comment rendre compte par des mots d’une réalité en mouvement ?

Cette fiche ne pourra pas rendre compte des choix présentés ci-dessus. Une vidéo pourrait peut-être le faire(?). De toute façon il est important que chacun s’approprie d’abord la danse et ensuite éventuellement rédige ses propres notes à partir de son expérience personnelle, les notes dune personne n’étant pas forcément explicites pour dautres.

La fiche ci-dessous, forcément très imparfaite, ne devrait être prise que comme un aide mémoire pour des personnes ayant déjà pratiqué cette danse.  Cest pourquoi nous invitons les lecteurs intéressés à venir pratiquer ces danses dans les ateliers ou les stages et ainsi se rendre compte par eux-mêmes de la réalité très festive de ces musiques et de ces danses.

 


Fiche de danse : Rigodon à quatre

Forme :

deux couples, disposés en quadrette, femmes à droite de leur partenaire.

Musique :

les rigodons d’Augustin Istier ou tout air de même forme :  Lou vioulou soun cassa /Para lou tsa ma cati / Ta maïre a fait un bandi / La dansaren plus, la bourrée dauvergne / etc… (voir partition)

Description

Partie A : « Promenade »

La première exécution de la partie A s’effectue en ronde à quatre, tournant en sens inverse des aiguilles dune montre.

Les exécutions suivantes seffectuent ainsi :
Chaque danseur se tourne dun quart de tour à droite pour former une file circulaire à 4 ( Chaque femme à donc son partenaire derrière elle ). Cette file se déplace en sens inverse des aiguilles dune montre.

Partie B : « Rigodon »

B1 : Chaque femme effectue un quart de tour pour se placer face à son partenaire, et on danse ainsi le rigodon.

B2 : Tous les danseurs effectuent un quart de tour pour se placer face à leur contre-partenaire, on danse ainsi le rigodon. Dans la tradition, on appelle cela « recourdàs » ( relier).

Pendant toute la partie B, les danseurs lèvent les bras, et font claquer leurs doigts ; on appelle cela  « faire les chiques ! ». Les danseurs ont aussi l’habitude de pousser des cris stridents à voix très aiguë.

A la fin de cette partie B, les hommes effectuent un quart de tour rapide pour retrouver le sens de la promenade.

Informations

Monsieur Augustin Istier, violoneux de St Laurent en Beaumont (Isère) a très bien décrit cette façon de danser dans son jeune âge. Il a été filmé et enregistré à la fin des années 1970.

On peut l’entendre entre autres dans le CD :
« Le violon traditionnel en France, Dauphiné : les pays du rigodon Champsaur, Gapençais, Beaumont » Editions Silex mémoire 1994. Co-production Centre des musiques traditionnelles Rhône-Alpes.

On doit pouvoir se le procurer auprès de la FAMDT.